Pauvreté infantile et familiale au Canada : implications pour la recherche sur la protection de l’enfance

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123
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Kaila de Boer, David W. Rothwell & Christopher Lee
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deBoer, K., Rothwell, D.W. et Lee, C. « Pauvreté infantile et familiale au Canada : implications pour la recherche sur la protection de l’enfance » feuillet d’information no123F, Portail canadien de la recherche en protection de l’enfance, (2013).

Introduction

En 1989, la Chambre des communes a adopté à l’unanimité une motion visant à éliminer la pauvreté des enfants d’ici l’an 2000. Treize ans après la date ciblée, au Canada, entre 500 000 et un million d’enfants continuent à grandir dans des familles qui éprouvent des difficultés économiques (Statistique Canada, CANSIM tableau 202-0802). Dans ce dossier, nous résumons les mesures de faible revenu utilisées au Canada pour les familles et les enfants. De plus, nous fournissons les données les plus récentes sur les taux de faible revenu au Canada et dans les provinces. Ensuite, nous résumons les importantes découvertes issues des études longitudinales qui ont examiné les répercussions de la pauvreté infantile sur les résultats plus tard dans la vie. La fiche d’information se termine par une recension de la recherche sur la pauvreté et les mauvais traitements.

Mesures du faible revenu au Canada

Statistique Canada ne définit pas de seuil de pauvreté officiel. Cet organisme a plutôt mis au point trois mesures du faible revenu. Ces mesures se basent sur le revenu annuel du ménage et comparent ce revenu au seuil relatif ou absolu de satisfaction des besoins de base. Les seuils font l’objet de débats continuels.

Les seuils de faibles revenus sont établis en fonction de divers aspects démographiques (âge, sexe, type de famille) et géographiques (province et région métropolitaine de recensement). Un enfant est considéré à faible revenu lorsqu’il vit dans un ménage dont le revenu annuel est inférieur à la mesure de faible revenu donnée pour un type de famille[1] économique, un âge, un sexe et une région donnés. Aux fins de cette fiche d’information, les taux de faible revenu sont appelés « taux de pauvreté ».

SFR

La mesure canadienne la plus couramment citée, soit le seuil de faible revenu (SFR), est une mesure de pauvreté relative correspondant à un seuil de revenu à partir duquel on s’attend à ce que les familles consacrent 20 points de plus que la famille moyenne à l’alimentation, au logement et à l’habillement. Les SFR sont calculés pour les revenus avant et après impôt (y compris les paiements de transfert) et corrigés en fonction de l’inflation avec application de l’indice des prix à la consommation à l’année de référence de 1992 (Murphy, Zhang, Dionne, 2012). Les SFR reflètent les changements de l’inflation depuis 1992, mais n’expliquent pas les modifications relatives aux schémas de dépenses des familles. Les SFR sont calculés pour sept tailles de famille et cinq tailles de communauté. Les valeurs après impôt sont généralement préférées pour l’analyse parce qu’elles tiennent compte des politiques redistributives de bien-être social comme l’aide sociale et la prestation fiscale canadienne pour enfants (Murphy et coll., 2012). 

MFR

La mesure de faible revenu (MFR) est une mesure relative de la pauvreté. Selon cette mesure, un ménage est considéré à faible revenu lorsque son revenu annuel se situe sous le seuil de 50 % de la médiane de distribution pour une taille de ménage donnée.

MPC

Au Canada, la mesure du panier de consommation (MPC) est une mesure de pauvreté absolue. Le seuil absolu de la MPC est fixé en estimant le coût d’achat de biens et de services prédéfinis comme la nourriture, les vêtements et le logement. Si un ménage ne gagne pas suffisamment d’argent pour joindre les deux bouts selon la définition du panier de consommation, il est considéré comme étant à faible revenu.

Chacune de ces mesures a ses forces et ses faiblesses. Pour plus de détails sur le calcul et les mesures du faible revenu au Canada, voir le rapport de Statistique Canada (2011).

Tendances globales en matière de pauvreté infantile au fil du temps

La figure 1 montre les taux de pauvreté infantile en utilisant le SFR avant et après impôt au fil du temps (1989-2010). Nous nous concentrons principalement sur les taux après impôt parce qu’ils tiennent compte des transferts de revenus et des crédits d’impôt.
 

Figure 1 : Taux de pauvreté infantile au Canada au fil du temps*

*Source : Statistique Canada. « 202-0802 CANSIM – Personnes dans des familles à faible revenu » 2013.

Les données révèlent que les taux de pauvreté infantile après impôt ont culminé à 18,4 % en 1996. Depuis, le taux a diminué régulièrement, passant de 31 % à 8,2 % en 2010 (données les plus récentes). Lorsqu’on utilise la MFR, le taux de pauvreté passe de 13,7 % à 14,5 % au cours de la même période (ou 6 %).

Comparaisons entre les provinces

La figure 2 montre les taux de pauvreté infantile en 2010 selon la province.

Figure 2 : Pauvreté infantile selon le SFR par province, 2010*

*Source : Statistique Canada. « 202-0802 CANSIM – Personnes dans des familles à faible revenu » 2013.

Il y a une grande variation entre les provinces. Les quatre provinces suivantes, soit la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve-et-Labrador, la Colombie-Britannique et le Manitoba ont des taux de pauvreté infantile plus élevés que la moyenne nationale qui se situe à 8,2 %. Le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard ont des taux de 3 % et moins. Sept provinces canadiennes ont adopté un plan d’action afin de lutter contre la pauvreté. L’Ontario est la seule province à cibler la pauvreté infantile. Son plan prévoit 2,5 milliards de dollars spécifiquement pour réduire de 25 % sur cinq ans le nombre d’enfants vivant en situation de pauvreté (2008-2013).[2]

Comparaisons internationales

La MFR sert à effectuer des comparaisons à l’international. Le pourcentage d’enfants vivant dans un ménage dont le revenu est inférieur à 50 % de la médiane nationale après impôt et transferts est de 13,3 %, ce qui classe le Canada au 24e rang des nations industrialisées (Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, 2012)

Quelles sont les conséquences liées au fait de grandir dans un ménage à faible revenu?

Il est communément admis que grandir dans la pauvreté constitue un facteur de risque de problèmes plus tard dans la vie. Les chercheurs ont récemment documenté ces effets en montrant des différences importantes entre les enfants pauvres, quasi pauvres et non pauvres à la maternelle. Par exemple, 72 % des enfants non pauvres reconnaissent les mots comparés à seulement 19 % des enfants pauvres (Duncan et Magnuson, 2011). Ces différences à la maternelle s’aggravent au cours du cycle de vie. Les mêmes auteurs ont rapporté que le pourcentage d’hommes qui se sont fait arrêter est beaucoup plus élevé chez ceux qui ont eu une enfance pauvre que chez ceux qui n’ont pas vécu une enfance pauvre (25 % contre 13 %).[3]

Les meilleures connaissances ont tendance à provenir de recensions systématiques dans l’espace et dans le temps. Duncan et Brooks-Gunn (1997) ont analysé 10 ensembles de données longitudinales et ont découvert les répercussions suivantes de la pauvreté sur les résultats développementaux :

  1. Répercussion sélective. Le revenu familial est plus largement associé aux mesures de l’habileté cognitive et de la réussite de l’enfant. Il y a moins de répercussions sur les mesures du comportement, de la santé mentale et physique.
  2. Le temps a de l’importance. La pauvreté pendant la petite enfance a des répercussions plus importantes sur les résultats développementaux que la pauvreté à l’adolescence.
  3. Influence non linéaire. Le lien entre le revenu et les accomplissements n’est pas linéaire. En d’autres termes, la gravité de la pauvreté a de l’importance. Les effets sont plus marqués chez les personnes qui se situent dans les catégories de revenus les plus bas.

Duncan et coll. (2010) ont utilisé des données longitudinales provenant de l’étude par panel de la dynamique des revenus qui s’est penchée sur les enfants nés entre 1968 et 1975 et les a suivis jusqu’à ce qu’ils aient entre 30 et 37 ans. Ils ont examiné les répercussions économiques de la pauvreté pendant l’enfance. Ils ont montré qu’une augmentation de 3000 $ du revenu annuel du parent entre un an avant la naissance de l’enfant et son cinquième anniversaire est liée à des revenus de 19 % plus élevés ainsi qu’à une augmentation de 135 heures des heures travaillées à l’âge adulte.

Pauvreté infantile et maltraitance envers les enfants

Aux États-Unis la recherche a montré que les enfants provenant d’une famille à faible statut socioéconomique (SSE) sont cinq fois plus à risque de violence et de négligence que ceux dont le SSE est plus élevé (Sedlak et coll., 2010). Le risque exact au Canada est inconnu. Cependant, une recension récente de la documentation sur la maltraitance envers les enfants au cours des 25 dernières années a révélé 16 études qui ont explicitement examiné certains éléments de la pauvreté infantile ou des désavantages économiques (Rothwell et De Boer, en cours de rédaction). Presque toutes les études ont découvert une relation bivariée entre la pauvreté infantile et la maltraitance. Cependant, dans au moins deux études, les chercheurs n’ont pas établi de lien entre les difficultés économiques et les modèles de violence chronique (Ethier, Couture et Lacharité, 2004) ni avec les émotions maternelles négatives envers les enfants (Martini, Root et Jenkins, 2004). Il est difficile de distinguer les mécanismes de causalité de la pauvreté infantile de ceux de la négligence à cause des nombreux défis méthodologiques qui entrent en jeux.

L’indice de quartier défavorisé sur le plan socioéconomique a été créé à partir des données du recensement canadien de 2006 et a été combiné aux données clinicoadministratives provinciales sur la protection de l’enfance. Les récents progrès méthodologiques dans la conceptualisation, la mesure et l’analyse des données sur les quartiers défavorisés sont prometteurs pour la recherche sur la maltraitance des enfants. Par exemple, au Québec, Esposito (2012) a examiné un échantillon de plus de 120 000 enfants ayant fait l’objet d’une enquête pour maltraitance pour la première fois entre 2002 et 2010. Il a cherché à savoir quand et quels enfants étaient les plus susceptibles d’être placés une première fois. L’indice de désavantage socioéconomique créé à partir des données du recensement canadien de 2006 a été fusionné aux données clinicoadministratives provinciales sur la protection de l’enfance.[4] Le chercheur a neutralisé les préoccupations relatives au fonctionnement de l’enfant et de la famille et a découvert que l’augmentation d’une unité relative aux désavantages socioéconomiques dans la zone de voisinage augmentait de 55 % le risque de placement des enfants de 0 à 9 ans.

De façon générale, le fait de naître et de grandir dans un ménage pauvre a des répercussions négatives sur les enfants à court terme et tout au long de la vie. Ces effets ont des implications majeures pour la société. Si l’on tient compte des conséquences de cette situation, il reste encore beaucoup de travail à faire en recherche sur la protection de l’enfance. Il essentiel d’améliorer la qualité et la cohérence des connaissances sur la pauvreté infantile afin de savoir à quel point elle affecte la prise en charge initiale par le système de protection de l’enfance et à quel point les interventions de lutte contre la pauvreté influencent le risque de maltraitance envers les enfants.

Bibliographie

Duncan, G. J., & Brooks-Gunn, J. (1997). Consequences of growing up poor. New York: Russell Sage Foundation.

Duncan, G. J., & Magnuson, K. (2011). The Long Reach of Early Childhood Poverty. Pathways Magazine, 22–27.

Duncan, G. J., Ziol-Guest, K. M., & Kalil, A. (2010). Early-Childhood Poverty and Adult Attainment, Behavior, and Health. Child Development, 81(1), 306–325.

Esposito, T. (2012). From initial maltreatment investigation: Exploring the placement trajectories of children in the Québec child protection system. McGill University, Montreal.

Ethier, L. S., Couture, G., & Lacharité, C. (2004). Risk factors associated with the chronicity of high potential for child abuse and neglect. Journal of Family Violence, 19(1), 13–24.

Gamache, P., Pampalon, R., & Hamel, D. (2010). Methodological guide-The material and social deprivation index: A summary. Institut national de santé publique du Québec.

Martini, T. S., Root, C. A., & Jenkins, J. M. (2004). Low and middle income mothers’ regulation of negative emotion: Effects of children’s temperament and situational emotional responses. Social Development, 13(4), 515–530.

Murphy, B., Zhang, X., & Dionne, C. (2012). Low income in Canada: A multi-line and multi-index perspective. Statistics Canada 75F0002M, 002(001). Retrieved from http://www.statcan.gc.ca/pub/75f0002m/75f0002m2012001-eng.pdf

Rothwell, D. W., & De Boer, K. (in preparation). Operationalizing economic hardship in child maltreatment research in Canada:  A literature review.

Sedlak, A., Mettenburg, J., Basena, M., Petta, I., McPherson, K., Green, A., & Li, S. (2010). Fourth national incidence study of child abuse and neglect (NIS-4): Report to Congress. Washington D.C.: US Department of Health and Human Services, Administration for Children and Families.

Statistics Canada. (2011). Low Income Lines, 2009-2010 (No. 75F0002M). Ottawa, ON: Statistics Canada. Retrieved from http://www.statcan.gc.ca/pub/75f0002m/75f0002m2011002-eng.htm

Statistics Canada. (2013). CANSIM - 202-0802 - Persons in low income families. Retrieved March 6, 2013, from http://www5.statcan.gc.ca/cansim/a26?lang=eng&retrLang=eng&id=2020802&tabMode=dataTable&srchLan=-1&p1=-1&p2=9

UNICEF Innocenti Research Centre. (2012). Measuring child poverty: New league tables of child poverty in the world’s rich countries (No. 10) (p. 40). Florence: UNICEF Innocenti Research Centre.


[1] Statistique Canada définit la famille économique comme un groupe de deux personnes ou plus habitant dans le même logement et apparentées par le sang, par alliance, par union libre ou par adoption. Il n’y a pas de restriction quant au sexe opposé ou non, à l’âge ou lien de sang. Les personnes seules sont reconnues par cet organisme comme des individus qui soit habitent seuls, ou dans le cas contraire, qui vivent avec des personnes non apparentées par le sang, par mariage, par adoption ou par union libre. http://www.statcan.gc.ca/concepts/definitions/economic_family-familles_economiques-fra.htm

[2] Ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse. « Rompre le cycle : Stratégie de réduction de la pauvreté de l'Ontario. » Gouvernement de l’Ontario, 2008. http://www.children.gov.on.ca/htdocs/English/documents/breakingthecycle/Poverty_Report_FR.pdf.

[3] Il s’agit de relations complexes qui impliquent de nombreux autres facteurs. Les autres facteurs (p. ex., caractéristiques du quartier, qualité de l’école, facteurs biologiques) peuvent être corrélés avec les résultats qui eux-mêmes peuvent être corrélés avec la pauvreté (habituellement appelée endogénéité).

[4] Les zones de voisinage ont été déterminées à partir des aires de diffusion du recensement canadien de 2006 (la plus petite unité géographique de recensement constituée de 400 à 700 personnes). En se basant sur Gamache, Pampalon et Hamel (2010), six indicateurs socioéconomiques de zone de voisinage ont été déterminés pour chaque aire de diffusion : 1) population totale de 15 ans et plus sans emploi ou inactive; 2) revenu médian de la population de 15 ans et plus en 2005; 3) nombre total de personnes vivant seules dans un ménage privé; 4) population totale de 15 et plus séparée, divorcée ou veuve; 5) revenu familial médian en 2005; 6) revenu médian du ménage en 2005. Les trois indicateurs de revenus ont été transformés en soustrayant le résultat de sa valeur maximale pour que chaque unité supplémentaire représente une augmentation des désavantages économiques. Les indicateurs 2, 3, 4, 5 et 6 sont été normalisés à l’aide du logarithme décimal. Une analyse des composantes principales a ramené les données à un seul indice représentant les désavantages socioéconomiques de chaque aire de diffusion. Les résultats construits ont été calculés pour chaque aire de diffusion (10 907 aires au Québec), les résultats les plus faibles représentant les désavantages socioéconomiques entraînant de faibles risques et les résultats élevés représentant les désavantages socioéconomiques entraînant des risques élevés. L’indice composé a ensuite été combiné aux données clinicoadministratives sur la protection de l’enfance représentant 42 989 zones géographiques uniques avec des estimations de désavantage socioéconomique pour 10 778 zones de voisinage.

About the Authors

Kaila deBoer is a social worker and graduate of the McGill School of Social Work.

David Rothwell is an Assistant Professor at McGill University.

Christopher Lee is a student at McGill University.