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Les conséquences à long terme de la maltraitance envers les enfants : preuves de la transmission intergénérationnelle

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Résumé

Les enfants maltraités et négligés maltraitent-ils et négligent-ils leurs enfants à leur tour à l’âge adulte? Pendant de nombreuses années, les cliniciens et les chercheurs ont supposé que la transmission intergénérationnelle de la maltraitance était une conséquence courante, mais pas inévitable, des mauvais traitements subis. Au fil des ans, de plus en plus de preuves ont démontré une corrélation assez solide entre les cas de maltraitance subie pendant l’enfance et la maltraitance envers les enfants à l’âge adulte. Le devis de recherche de ces études était généralement inadéquat pour des enquêtes transversales ou rétrospectives. Leurs conclusions étaient donc limitées. Pour répondre à la question de savoir si la maltraitance est intergénérationnelle, les chercheurs doivent se baser sur des données longitudinales et constituer un groupe témoin ou de comparaison.

Widom et ses collègues ont entrepris de commencer à répondre à cette question en 1986, en recueillant des données pendant plus de trente ans, et ont suivi un modèle simple de transmission intergénérationnelle [génération 1 à génération 2 à génération 3]. Tout d’abord, ils ont recueilli des données sur les enfants victimes de violence ou de négligence (N = 908) et les ont comparées avec les données d’enfants non maltraités de statut socioéconomique similaire (N = 667). Dans la présente étude, ces enfants ont été appelés « deuxième génération », ou G2. Premièrement, les cas d’enfants G2 maltraités ou négligés ont été identifiés à partir des dossiers judiciaires contenant des informations sur le parent (ou des informations G1), dans une région métropolitaine du Midwest des États-Unis entre 1967 et 1971. L’échantillon d’enfants G2 non maltraités (le groupe témoin) a été constitué à partir des registres de naissance et des dossiers scolaires correspondant le plus possible aux caractéristiques démographiques des enfants G2 maltraités ou négligés. Tous les enfants G2 identifiés avaient moins de 12 ans au cours de la période d’échantillonnage. Deuxièmement, les chercheurs ont suivi ces enfants G2 jusqu’à l’âge adulte, en notant l’apparition de leur nom dans les casiers judiciaires ultérieurs. Troisièmement, ils ont mené des entretiens détaillés en personne avec 1196 individus de l’échantillon G2 de 1989 à 1995, et ils ont recontacté et réinterviewé 896 d’entre eux de 2000 à 2002. En 2009, ils ont commencé la collecte de données pour cette étude sur les G3, ou les descendants des G2. Les dossiers de la protection de l’enfance ont été vérifiés pour tous les enfants connus de l’échantillon des G2 (N = 999) de 2011 à 2013, et 70 % de ces enfants ont été interviewés (n = 697) en 2009. L’âge moyen des descendants G3 au moment de l’entrevue était de 22,8 ans.

À la suite de leurs analyses de 2011 à 2013, Widom et coll. ont constaté que les adultes G2 qui avaient été maltraités et négligés pendant leur enfance (tel que documenté dans les dossiers judiciaires) étaient beaucoup plus susceptibles d’être signalés aux services de protection de l’enfance (SPE) lorsqu’ils étaient parents que les adultes G2 qui n’avaient pas subi de mauvais traitements pendant leur enfance (RCC = 2,01, p < 0,001). Il convient de noter que ces groupes ne différaient pas significativement en ce qui a trait aux signalements aux SPE pour violence physique, ou aux mauvais traitements autodéclarés. Les adultes G2 qui avaient subi des mauvais traitements documentés lorsqu’ils étaient enfants étaient également plus susceptibles d’avoir un enfant placé par la cour (4,8 %, RCC = 3,77, p < 0,05, comparativement à 1,3 % pour le groupe témoin). Lorsqu’ils ont comparé les autodéclarations aux signalements des SPE, les auteurs ont également constaté des indications de biais de surveillance. La génération G3 qui a déclaré avoir été maltraitée et négligée (autodéclarations) et dont les parents avaient été eux-mêmes maltraités était deux fois plus susceptible d’avoir fait l’objet d’un signalement officiel aux SPE (RCC = 2,28, p < 0,003) que les G3 qui avaient signalé la violence, mais dont les parents n’avaient pas d’antécédents documentés de mauvais traitements.

Cette étude est la première à tester rigoureusement la transmission intergénérationnelle de la maltraitance. Les auteurs suggèrent fortement que le modèle prédictif de la transmission intergénérationnelle de la maltraitance est plus complexe que ce que les théories ou les observations précédentes suggéraient. Tout d’abord, ils n’ont trouvé aucune preuve démontrant la transmission intergénérationnelle pour les cas de violence physique. Ces résultats étaient cohérents dans toutes les sources de données : autodéclaration des G2 et G3 ainsi que signalements des SPE concernant les G3. Deuxièmement, les auteurs ont observé que les parents ayant des antécédents documentés de négligence ou de violence sexuelle pendant l’enfance étaient beaucoup plus susceptibles de maltraiter leurs enfants. Troisièmement, les auteurs ont souligné la nécessité de multiples sources de données pour étudier la transmission intergénérationnelle. Ils avancent que les estimations pourraient être faussées par le fait que les chercheurs s’appuient trop sur les autodéclarations des parents. Les auteurs demandent que plus de recherche soit faite sur le sujet. Ils ont aussi indiqué qu’on ne pouvait pas déterminer si les familles faisant l’objet d’une intervention des SPE étaient plus « dysfonctionnelles », ou si elles étaient simplement plus surveillées que les autres. Les résultats suggèrent que les SPEC ne détectent pas un grand nombre d’enfants victimes de violence ou de négligence dans une famille dont l’un des parents n’a pas été maltraité.

Notes méthodologiques

Il y a plusieurs points forts dans cette étude, néanmoins, le lecteur doit interpréter les résultats avec prudence. Tout d’abord, les cas de G2 maltraitants proviennent de dossiers judiciaires et représentent probablement uniquement des cas graves de violence et de négligence envers les enfants. Ils ne représentent pas les cas moins graves, ou les cas que les SPE n’ont pas détectés. Deuxièmement, la procédure d’appariement est approximative et manque de rigueur sur le plan statistique, remettant ainsi en cause toute inférence causale. Troisièmement, parce que les enfants G2 victimes de violence ou de négligence ont été appariés avec des enfants non maltraités d’origine socioéconomique similaire, l’échantillon représente dans l’ensemble un groupe socioéconomiquement défavorisé, ce qui en limite la généralisabilité.