Sans déni, délai ou interruption : veiller a ce que les enfants des Premières Nations bénéficient de services équitables par l’entremise du Principe de Jordan

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143
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Vandna Sinha
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Sinha, V. (2015). Sans déni, délai ou interruption : veiller à ce que les enfants des Premières Nations bénéficient de services équitables par l’entremise du Principe de Jordan. Portail canadien de la recherche en protection de l’enfance feuillet d’information #143F. Montreal, QC: Centre de recherche sur l'enfance et la famille.

Ce feuillet d’information présente un aperçu du rapport intitulé Sans déni, délai ou interruption : veiller a ce que les enfants des Premières Nations bénéficient de services équitables par l’entremise du Principe de Jordan[i] publié par des chercheurs de l’Université McGill, de l’Université du Manitoba et de l’Université du Michigan, en collaboration avec l’Assemblée des Premières Nations, la Société canadienne de pédiatrie et UNICEF Canada.

Contexte

Le Principe de Jordan est un principe de priorité à l’enfant dont l’objectif est d’éviter que les enfants des Premières Nations soient confrontés au déni, au délai ou à l’interruption de services qui sont habituellement offerts aux autres enfants en raison de conflits entre paliers gouvernementaux en ce qui concerne le paiement des services. Il stipule que, dans les cas où un conflit entre paliers gouvernementaux survient, le gouvernement ou le ministère approché en premier devrait financer et fournir les services sans délai, le conflit découlant du financement des services pouvant être résolu par la suite. [ii]  Le Principe de Jordan est ainsi nommé en hommage à Jordan River Anderson, un jeune garçon de la nation crie de Norway House au Manitoba. Jordan est né avec des besoins médicaux complexes pour lesquels il a dû être hospitalisé pendant la première partie de sa vie. Une équipe médicale a d’abord recommandé qu’il soit transféré dans un foyer d’accueil de soins spécialisés, près de sa communauté d’origine, en 2001. Cependant, les différends entre les gouvernements provincial et fédéral concernant le paiement des soins ambulatoires et des services de soutien l’ont privé de la possibilité de vivre en milieu familial plutôt que dans un hôpital avant sa mort en 2005. [iii]

Le Principe de Jordan est une réponse à des systèmes complexes de financement et de prestation de services en vertu desquels les enfants des Premières Nations possédant le statut d’Indien inscrit sont traités différemment des autres enfants au Canada. La responsabilité de dispenser des services aux enfants des Premières Nations est souvent partagée par les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et des Premières Nations, alors que le financement et la prestation de ces mêmes services à la plupart des autres enfants au Canada relèvent uniquement de la compétence provinciale ou territoriale. [iv] Pour cette raison, les enfants des Premières nations sont confrontés à des défis uniques en ce qui a trait à l’accès aux services, et le principe de Jordan est un mécanisme essentiel pour garantir leurs droits découlant des droits de la personne, leurs droits constitutionnels et issus de traités. La Chambre des communes a adopté à l’unanimité une résolution approuvant le Principe de Jordan en 2007, [v]  et plus de 8000 personnes et organisations ont manifesté leur appui à ce Principe en s’inscrivant sur le site Web de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada. [vi]

Le gouvernement fédéral a élaboré et mis en œuvre une réponse gouvernementale au Principe de Jordan, mais il est de plus en plus observé que cette réponse ne reflète pas la vision préconisée par les Premières Nations et endossée par la Chambre des communes. Des études de la Société canadienne de pédiatrie et d’UNICEF Canada, [vii] une résolution par consensus adoptée par l’Assemblée des Premières Nations[viii] et une décision d’une cour fédérale[ix] en 2013 ont critiqué la définition opérationnelle étroite et la mise en œuvre inadéquate du Principe de Jordan. En effet, le gouvernement fédéral a lui-même reconnu que la réponse au Principe de Jordan suscitait un mécontentement généralisé. L’élaboration et la mise en œuvre d’une réponse gouvernementale qui reflète la vision du Principe de Jordan font partie des  remèdes demandés dans la contestation judiciaire [x] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et Assemblée des Premières Nations c. Procureur général du Canada. [xi] Une décision du Tribunal des droits de la personne dans cette cause est attendue en avril 2015.

Résultats de la recherche

Sans déni, délai ou interruption : veiller a ce que les enfants des Premières Nations bénéficient de services équitables par l’entremise du Principe de Jordan décrit l’existence d’ambiguïtés juridictionnelles répandues et le sous-financement en matière de services sociaux et de santé pour les enfants des Premières nations. La recherche présentée dans le rapport indique que cela donne lieu à des lacunes et à des disparités dans les services offerts aux enfants des Premières nations. Elle suggère qu’en conséquence, les enfants des Premières Nations peuvent se heurter à des différences en matière de normes de service, faire l’objet d’interventions plus intensives de la part d’organismes de santé et de services sociaux et même courir un risque accru d’hébergement en établissement. Le rapport met en lumière plusieurs lacunes relatives à la réponse actuelle du gouvernement au Principe de Jordan :

  • La réponse s’applique à des enfants vivant dans une réserve, ayant des besoins médicaux complexes et faisant affaire avec de multiples fournisseurs de services, plutôt qu’à tous les enfants des Premières Nations.
  • Elle ne s’applique pas à tous les domaines de services.
  • Elle ne reconnaît pas les litiges entre les ministères fédéraux ou entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des Premières Nations comme des litiges auxquels s’applique le Principe de Jordan.
  • Elle institutionnalise les délais de la fourniture de services à un enfant des Premières Nations lorsque survient un conflit entre paliers de gouvernement.
  • Elle n’a pas inclus les Premières Nations dans la mise en œuvre du Principe de Jordan ni dans les processus de résolution de cas.
  • Il y a absence de transparence, de supervision indépendante et de reddition de comptes.
  • Elle ne fait rien pour remédier au sous-financement et à l’ambiguïté en matière de compétence dont découlent les cas relevant du Principe de Jordan.

En l’absence d’une réponse gouvernementale au Principe de Jordan reflétant la vision préconisée par les Premières Nations et endossée par la Chambre des communes, les familles, les communautés et les fournisseurs de services des enfants des Premières Nations sont obligés de déployer des efforts extraordinaires pour s’assurer d’avoir accès aux services. Les exemples incluent la réinstallation afin d’accéder aux services, des paiements directs ou des efforts de collecte de fonds pour couvrir les coûts des services et la négociation de rabais avec les fabricants de médicaments et de matériel. Ces efforts représentent un fardeau supplémentaire pour les systèmes de soins déjà surchargés destinés aux enfants des Premières Nations.

Appel à l’action

L’Assemblée des Premières Nations, l’Association canadienne des centres de santé pédiatriques, la Société canadienne de pédiatrie, et UNICEF Canada se basent sur les résultats de la recherche et demandent aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de travailler avec les Premières Nations, sans délai, afin de parvenir à :

  1. Élaborer et mettre en œuvre une réponse du gouvernement conforme à la vision du Principe de Jordan préconisée par les Premières nations et endossée par la Chambre des communes.
  2. Déterminer systématiquement et pallier les ambiguïtés sur le plan de la compétence et le sous-financement dont découle chaque cas relevant du Principe de Jordan. En clarifiant les responsabilités en matière de compétence et en remédiant au sous-financement déterminé dans chaque cas, les gouvernements peuvent prévenir les dénis, les délais et les interruptions de services pour d’autres enfants dans des circonstances semblables. Par conséquent, ils peuvent mieux s’acquitter de leur responsabilité de garantir un traitement équitable aux enfants des Premières Nations, comme stipulé dans la Convention relative aux droits de l’enfant, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi canadienne sur les droits de la personne et les autres lois et ententes fédérales, provinciales, territoriales et des Premières Nations


[i] Le Groupe de travail sur le Principe de Jordan (2015) – Sans déni, délai ou interruption : veiller à ce que les enfants des Premières Nations bénéficient de services équitables par l’entremise du Principe de Jordan. Ottawa (Ontario) : Assemblée des Premières Nations.

[ii] First Nations Child and Family Caring Society. (2011). Jordan’s Principle: Fact sheet. First Nations Child and Family Caring Society. Retrieved from http://fncaringsociety.com/sites/default/files/jordans-principle/docs/JPfactsheet2011-en.pdf

[iii] Lavallee, T. (2005). Honouring Jordan: Putting First Nations children first and funding fights second. Paediatrics and Child Health, 10(9) 527-529. Blackstock, C. (2008). Jordan`s Principle: Editorial update. Paediatrics and Child Health, 13(7), 588-590.

[iv] See, for example : Carlos R. Quiñonez, & Josée G. Lavoie. (2009). Existing on a boundary: The delivery of socially uninsured health services to Aboriginal groups in Canada. Humanity & Society, 33(Feb/May), 35–55. Sinha, V., & Kozlowski, A. (2013). The structure of Aboriginal child welfare. International Indigenous Policy Journal, 4(2), 1–23.

[v] Private Member’s Motion M-296, Support for Jordan’s Principle.  2007.

[vi] First Nations Child and Family Caring Society. (n.d.). Jordan’s Principle - supporters. Retrieved December 3, 2014, from http://www.fncfcs.com/campaignsupporters/jordan

[vii] Canadian Paediatric Society. (2012). Are We Doing Enough? A status report on Canadian public policy and child and youth health. Retrieved from http://www.cps.ca/advocacy/StatusReport2012.pdf; UNICEF Canada. (2012). Invited Response to Concluding Observations for the United Nations Committee on the Elimination of Racial Discrimination: Canada’s 19th and 20th reports on the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (CERD) (Brief submitted by UNICEF Canada to the Human Rights Program, Department of Canadian Heritage, Government of Canada). Toronto, ON: UNICEF Canada. Retrieved from http://www.unicef.ca/sites/default/files/imce_uploads/submission_by_unicef_canada_re_cerd_concluding_observations_for_canada_aug_2012_final.pdf

[viii] Resolution 63/2008: Implementation of Jordan’s Principle. Assembly of First Nations Special Chiefs Assembly. Retrieved from AFN website: http://64.26.129.156/article.asp?id=4442

[ix] Pictou Landing Band Council & Maurina Beadle v. Attorney General of Canada, 2013 F.C. 342. Retrieved from http://www.fncaringsociety.com/sites/default/files/Ruling-%20Fed%20Court%20Beadle%20and%20Pictou%20Landing%20FN.pdf.

[x] Aboriginal Affairs and Northern Development Canada. (2011b, July 25). Deputy ministers’ recognition award nomination form, p. 4. Access to information document.

[xi] First Nations Child and Family Caring Society of Canada et al. v. Attorney General of Canada (for the Minister of Indian Affairs and Northern Development Canada) (2014), CHRT T1340/7008 (Complainant Caring Society’s Closing Arguments). Retrieved from http://www.fncaringsociety.ca/sites/default/files/Caring%20Society%20-%20Closing%20Submissions.pdf

 

About the Authors

Vandna Sinha est une professeure adjoint à l'École de travail social de l'Université McGill.