La plupart des victimes d'abus sexuels pendant l'enfance ne déclarent pas immédiatement les actes subis et plusieurs ne les dénoncent qu'à l'âge adulte. Engager des poursuites judiciaires dans le cas d'abus sexuels passés commis pendant l'enfance (ASPCPE) représente un processus compliqué. Les difficultés ont notamment trait à l'évaluation de la crédibilité des plaignants. Cette étude porte sur le processus décisionnel judiciaire et a pour but d'étudier la façon dont les juges statuent sur ce type de cas.
Les décisions judiciaires canadiennes concernant les ASPCPE ont été repérées à l'aide de la base de données Quicklaw; l'échantillon définitif comprenait 51 poursuites pénales entreprises minimalement deux ans après la fin des abus et concernait 87 plaignants. La majorité d'entre eux étaient des femmes âgées de 12 ans en moyenne lorsque les abus ont pris fin et de 25 ans au moment du procès. Environ la moitié de ces cas comportait des allégations d'abus répétés (deux occasions ou plus) et le nombre de cas qui se sont soldés par un acquittement était approximativement le même que le nombre de cas qui ont abouti à une condamnation. Les chercheurs ont déterminé 4827 commentaires judiciaires et les ont codés en utilisant une approche par raisonnement inductif (c'est-à-dire une théorie à base empirique) selon quatre grands thèmes liés aux « souvenirs [que le plaignant a] du délit, à la crédibilité du plaignant, à la fiabilité de la preuve et aux inférences judiciaires » (p. 108). Les descriptions que les plaignants ont faites des ASPCPE ne font pas partie de cette recherche.
Les résultats indiquent les facteurs qui influencent le verdict dans les affaires criminelles relatives aux ASPCPE « peuvent être appuyés par des recherches empiriques et être conformes aux décisions des tribunaux supérieurs » (p. 120). Les juges étaient largement plus susceptibles de formuler des commentaires sur les détails précis plutôt que sur les éléments généraux des allégations d'ASPCPE. Ils étaient cependant sensibles aux répercussions du passage du temps sur la mémoire. Les commentaires concernant la fiabilité de la preuve correspondaient à la preuve de nature psychologique : en effet, « il y avait plus de commentaires judiciaires sur les incohérences dans les affaires ayant fait l'objet d'un acquittement que dans les celles ayant conduit à une condamnation et plus de commentaires sur la corroboration en cas d'acquittement qu'en cas de condamnation, bien qu'il n'y ait pas d'association solide entre les incohérences ou les corroborations et le verdict » (p. 105). Les auteurs ont exprimé des préoccupations concernant « l'intérêt judiciaire apparent et considérable pour le comportement et les émotions des plaignants au moment de l'abus allégué et au moment de la divulgation » (p. 105). Ils ont de plus souligné que les commentaires concernant la crédibilité du plaignant étaient au moins deux fois plus fréquents que ceux portant sur la fiabilité de la preuve.