Le Canada est l’un des nombreux pays à avoir conservé la défense juridique permettant aux parents d’utiliser une force « raisonnable » à des fins correctives envers leurs enfants. En 2004, la Cour suprême du Canada a modifié l’article 43 du Code criminel afin de préciser les critères qui délimitent la force non abusive comme étant celle qui est administrée 1) par un parent; 2) aux enfants âgés de 2 à 12 ans; 3) à un enfant capable d’en tirer une leçon; 4) d’une manière transitoire et insignifiante, ou « non mineure »; 5) sans objets ou coups/claques à la tête; 6) à des fins de correction; 7) d’une manière qui ne soit pas dégradante, inhumaine ou nuisible. La présente étude visait à reproduire les conclusions de Durrant et ses collègues (2009) qui réfutent cette « position de limite » et appuient davantage la « position d’abolition » faisant valoir que les enfants sont mieux protégés lorsque toutes les formes de châtiment physique sont éradiquées.
Bien que l’étude de Durrant et coll. (2009) ait utilisé une base de données représentative à l’échelle nationale, la dernière Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (ÉCI) remonte à 2008 et les chercheurs ont tenté de tester les limites de la Cour suprême avec un échantillon de cas survenus après qu’un laps de temps suffisant se soit écoulé. Les auteurs ont choisi l’Étude de l’Ontario sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants de 2013 (ÉOI-2013). Les données ont été recueillies par des intervenants en protection de l’enfance pendant leur processus standard d’enquête sur une période de 1 à 2 mois. Pour tester la position de limite, les chercheurs ont opérationnalisé chacune des sept limites de la Cour suprême et les ont comparées aux caractéristiques des cas de maltraitance physique corroborés dans l’ÉOI-2013 (N = 267). Les chercheurs ont examiné la proportion de cas de trois façons : dans lesquelles 1) chacune; 2) au moins une; et 3) toutes les limites du tribunal ont été dépassées, puis ils ont comparé ces proportions aux cas où la fessée était caractéristique à la maison. Pour tester la position d’abolition, les chercheurs ont utilisé un échantillon de cas de mauvais traitements corroborés (N = 267) et non corroborés (N = 712) de l’ÉOI-2013 pour déterminer si la fessée à la maison est une meilleure variable explicative de la corroboration que les normes de la Cour. Pour examiner la puissance de chaque variable explicative, les chercheurs ont effectué des analyses de régression logistique simples. Ensuite, pour déceler la combinaison des variables qui expliquent le mieux la corroboration, les auteurs ont effectué une analyse de régression logistique multiple par étapes.
Les résultats montrent que la majorité des cas de violence physique corroborés se situaient dans les limites de la force raisonnable établies par la Cour, tandis que 28,4 % ne dépassaient aucune des limites. Dans 39,4 % des cas, la fessée était typique à la maison et donc, la fessée était considérée comme la deuxième caractéristique prééminente des cas de maltraitance corroborée de chacun des critères du tribunal, à l’exception de la force non mineure (48,4 % des cas). Ces résultats corroborent ceux de l’étude de 2009 de Durrant et coll. qui réfute la position de limite. Les résultats appuient le point de vue de Durrant et ses collègues (2009) sur l’abolition, puisqu’il est établi que la fessée était la meilleure variable explicative de la corroboration et représentait 11 % de la variance dans les décisions de corroboration. La fessée était suivie de l’utilisation de la force non mineure et de l’âge de l’enfant de plus de 12 ans, chacun représentant 4 % de la variance. Lorsque les trois variables explicatives étaient incluses dans le modèle, les cas où la fessée était typique à la maison étaient 5,84 fois plus susceptibles d’être corroborés que ceux dans lesquels la fessée n’était pas typique.
Les auteurs ont présenté une étude qui reproduit les résultats et démontre la cohérence des résultats sur une période de dix ans. L’étude faisait appel à un ensemble de données représentatif de la province qui utilisait des mesures normalisées très semblables à celles de l’ÉCI, ce qui a permis aux chercheurs de faire des comparaisons significatives entre les études. Les auteurs précisent qu’ils ont été incapables d’opérationnaliser le dernier critère de la Cour, « non humiliant ou inhumain ni préjudiciable à l’enfant », puisque la Cour n’a pas défini ces termes et parce que l’ÉOI-2013 n’a pas recueilli de données qui pourraient décrire l’étendue de l’humiliation, du traitement inhumain ou du préjudice subi. Ils ont également éprouvé des difficultés à opérationnaliser le quatrième critère, « force non mineure », sans définition de la Cour et, ainsi, ils ont fondé leur définition finale sur l’hypothèse que la Cour faisait référence à une force qui n’entraîne pas de préjudice physique ou émotionnel. Les chercheurs reconnaissent également que l’ÉOI-2013 ne recueille que des données sur les cas détectés, signalés et ayant fait l’objet d’une enquête, et qu’à ce titre, ils ne peuvent pas déterminer les caractéristiques des cas de maltraitance non divulgués. Ils ne peuvent pas non plus établir si la répartition de l’âge des enfants est faussée, car la détection de la maltraitance chez les jeunes enfants est souvent plus difficile que chez les enfants plus âgés.
Bibliographie Durrant, J. E., Trocme, N., Fallon, B., Milne, C., & Black, T. (2009). Protection of children from physical maltreatment in Canada: An evaluation of the Supreme Court’s definition of reasonable force. Journal of Aggression, Maltreatment and Trauma, 18, 1-24.