Violences physiques et châtiments corporels au Canada

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Information Sheet #
122
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Andreas Jud, Nico Trocmé
Suggested Citation

Jud, A. et N. Trocmé. « Violences physiques et châtiments corporels au Canada », feuillet d’information no122F, Portail canadien de la recherche en protection de l’enfance, (2012).

L’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants de 2008 (ECI-2008) est la troisième étude d’envergure nationale portant sur l’incidence des signalements de mauvais traitements infligés aux enfants et sur le profil des enfants et des familles sur lesquels enquêtent les services de protection de l’enfance du Canada. S’ajoutant aux tableaux du rapport sur les données principales (Trocmé, Fallon, MacLaurin et al. 2010), le présent feuillet d’information présente les taux de certaines formes de violences physiques, de sévices et de châtiments corporels corroborés.

Formes de violence physique corroborée

Au Canada, en 2008, environ 18 688 cas de violence physique ont été corroborés, soit un taux de 3,1 cas de violence physique corroborés pour 1 000 enfants. Dans la plupart de ces cas (17 212), la violence physique était la principale forme de mauvais traitement; dans 1 476 cas, elle était la seconde forme. Les cas étaient considérés comme de la violence physique si l’enfant avait été blessé ou courait de sérieux risques d’être blessé en raison d’un des cinq actes de violence qui suivent :

  1. Secouer, pousser, attraper ou projeter : comprend le fait de tirer ou de traîner un enfant et de secouer un enfant en bas âge;
  2. Frapper avec la main : comprend le fait de gifler et de donner la fessée, mais pas de donner un coup de poing;
  3. Donner un coup de poing ou un coup de pied ou mordre : comprend le fait de frapper avec d’autres parties du corps (p. ex. le coude ou la tête);
  4. Frapper avec un objet : comprend le fait de frapper avec un bâton, une ceinture ou d’autres objets, de lancer un objet à un enfant, mais pas de poignarder avec un couteau;
  5. Autre forme de violence physique : comprend toute autre forme de violence physique, y compris le fait d’étouffer, d’étrangler, de poignarder, de brûler, de faire feu sur l’enfant, d’empoisonner et d’utiliser des mesures de restriction abusives.

Comme le montre la figure 1, dans un peu plus de la moitié (54 %) des cas de violence physique corroborés, l’enfant a été frappé avec la main. Dans environ 30 % des cas, l’enfant a été secoué, poussé, attrapé ou projeté, dans 21 % des cas, il a été frappé avec un objet, dans 8 % des cas, il a reçu un coup de poing ou un coup de pied ou a été mordu et dans 10 % des cas, l’enfant a été victime de violence physique classée dans la catégorie « autre ». Puisque les cas de violence physique corroborés peuvent comprendre plus d’une forme de violence, le total des cinq formes de violence de la figure 1 dépasse 100 %.

Figure 1: Formes de violence physique corroborée ECI-2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Blessures1

Les travailleurs enquêteurs ont été invités à recueillir de l’information sur la nature des blessures causées par les mauvais traitements corroborés. Ces taux se fondent sur l’information habituellement recueillie pendant les enquêtes sur les mauvais traitements. Bien que les protocoles d’enquête demandent un examen attentif de toute blessure physique et peuvent comprendre un examen médical, il faut souligner que l’enfant n’est pas nécessairement examiné par un praticien. Des renseignements ont notamment été recueillis sur les types de blessures ou d’affections suivantes :

  1. Aucune blessure : l’enfant ne présente aucun signe de blessures découlant de mauvais traitements;
  2. Ecchymoses/coupures/égratignures : les diverses blessures physiques dont souffre l’enfant sont visibles pendant au moins 48 heures;
  3. Fractures : l’enfant souffre de fractures;
  4. Traumatisme crânien : l’enfant souffre d’un traumatisme crânien, y compris de lésions cérébrales causées par le fait d’avoir été secoué;
  5. Autres affections : l’enfant souffre d’une autre affection, comme de complications découlant d’un cas d’asthme non traité, d’un retard de croissance ou d’une maladie transmissible sexuellement.

Comme le montre le tableau 1, aucun renseignement sur les blessures n’a été recueilli dans environ les trois quarts des cas de violence physique corroborés déclarés dans le cadre de l’ECI de 2008 (13 639 cas). Des 4 672 cas où des renseignements sur les blessures ont été recueillis, il était question pour la plupart d’ecchymoses, de coupures et d’égratignures (4 133, 88 %); les blessures plus graves, comme des fractures et des traumatismes crâniens, étaient rarement relevées.

Tableau 1: Blessures observées dans les cas de violence physique corroborés, ECI-2008

  Estimation Proportion
Aucun renseignement recueilli sur les blessures 13,639 74%
Renseignements recueillis sur les blessures 4,672 26%
     
Formes de sévices:    
Ecchymoses, coupures et égratignures 4,133 23%
Fractures 110 1%
Traumatisme crânien 308 2%
Autres affections 325 2%
     
Violence physique corroborée1,2 18,311 100%

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

1: Sauf les cas de violence physique où les sévices sont attribuables au défaut de superviser.
2: Puisque plus d’une forme de blessures peut être relevée, le résultat de l’addition de toutes les lignes dépasse le total.

Gravité des sévices

Des traitements médicaux ont été nécessaires dans environ 6 % (979) des enquêtes pour mauvais traitement d’un enfant où la violence physique était la principale forme d’abus. Pendant la période de sélection des cas de l’ECI de 2008, qui a duré trois mois, il y a eu deux enquêtes corroborées sur le décès d’un enfant. Puisque ces événements tragiques ne se produisent pas souvent, les estimations des taux de décès infantile ne peuvent pas être établies.

Châtiments corporels abusifs

Dans près des trois quarts (74 %) de tous les cas de violence physique corroborés, les travailleurs enquêteurs ont déterminé que les sévices sont survenus dans le cadre d’un châtiment, soit un taux de 2,3 cas corroborés de violence physique punitive pour 1 000 enfants canadiens. Bien que les châtiments aient rarement (6 %) été notés comme un facteur dans la plupart des autres cas corroborés de mauvais traitement, 27 % des incidents corroborés de mauvais traitement émotionnel ont également été considérés comme ayant commencé en tant que forme de châtiment.  

Au Canada, en 2008, environ 16 179 cas de violence associés à un châtiment, ce qui comprend toutes les formes de mauvais traitement découlant d’un châtiment, ont été corroborés. Comme le montre la figure 2, l’utilisation de violence punitive s’accroît avec l’âge, passant d’environ 1 255 cas corroborés de violence punitive chez des enfants de moins de quatre ans, à 6 140 cas chez des jeunes âgés de 12 à 15 ans.

Pour en savoir davantage sur les effets du châtiment corporel sur le développement de l’enfant, veuillez consulter l’examen de Durrant et d’Ensom (2012) dans le Canadian Medical Association's Journal (http://www.cmaj.ca/content/184/12/1373, en anglais seulement).

Figure 2 : Cas corroborés de violence punitive par âge, ECI-2008

Contexte de l’ECI de 2008

Au Canada, la responsabilité de la protection et du soutien des enfants à risque d’être victimes de violence et de négligence incombe aux 13 provinces et territoires ainsi qu’à un système d’organismes de protection de l’enfance autochtone, dont les responsabilités envers les enfants autochtones ne cessent d’augmenter. En raison des différences quant aux types de situations qui relèvent du mandat d’aide à l’enfance de chaque administration, ainsi que dans la façon dont les statistiques sur les services sont consignées, il est difficile d’obtenir un profil national des enfants et des familles qui reçoivent des services de protection de l’enfance. L’ECI vise à établir un tel profil en recueillant de l’information de façon périodique de chaque administration au moyen d’un ensemble normalisé de définitions. Recevant un financement de base de l’Agence de la santé publique du Canada et du soutien financier et non financier d’un regroupement d’intervenants fédéraux, provinciaux, territoriaux, autochtones et universitaires, l’ECI de 2008 est la troisième étude d’envergure nationale qui porte sur l’incidence et les caractéristiques des signalements de cas de maltraitance et de négligence d’enfants dans l’ensemble du Canada.

Méthodologie

Les chercheurs de l’ECI de 2008 ont utilisé un plan d’échantillonnage à plusieurs degrés afin de former un échantillon représentatif de 112 services de protection de l’enfance au Canada et d’échantillonner les cas traités par ceux-ci. L’information a été recueillie directement auprès de travailleurs de ces services à partir d’un échantillon représentatif de 15 980 enquêtes sur la protection de l’enfance menées sur une période de trois mois à l’automne 2008. Cet échantillon a été pondéré afin d’obtenir des estimations provinciales annuelles.

En ce qui a trait aux enquêtes sur les mauvais traitements, l’information a été recueillie relativement à la principale forme de maltraitance ayant fait l’objet de l’enquête ainsi qu’au degré de corroboration établi. L’outil de collecte de données comptait 32 formes de mauvais traitements qui ont été regroupées en cinq grandes catégories : violence physique (p. ex. frapper avec la main), abus sexuel (p. ex. exploitation), négligence (p. ex. négligence éducative), violence psychologique (p. ex. violence verbale ou dénigrement) et exposition à la violence conjugale (p. ex. témoin direct de violence physique). Les travailleurs ont indiqué le principal problème visé par l’enquête et, s’il y avait lieu, des problèmes secondaires et tertiaires.

Pour chaque forme de mauvais traitement, le travailleur a établi un degré de corroboration. Un cas de mauvais traitement pouvait être « corroboré » (c.-à-d. la prépondérance de la preuve indiquait qu’il y a effectivement eu violence), « soupçonné » (c.-à-d. la preuve recueillie était insuffisante pour corroborer ou conclure à l’absence de mauvais traitements) ou « non corroboré » (la prépondérance de la preuve indiquait qu’il n’y a pas eu de mauvais traitements).

Pour chaque enquête fondée sur le risque, le travailleur a déterminé si l’enfant était susceptible de faire l’objet de futurs mauvais traitements. Trois options étaient possibles : risque de futurs mauvais traitements (risque confirmé), aucun risque de futurs mauvais traitements (risque non fondé) ou risque inconnu de futurs mauvais traitements.

Une présentation détaillée de la méthodologie de l’étude ainsi que des définitions de chaque variable est disponible à l’adresse suivante :  http://cwrp.ca/sites/default/files/publications/en/CIS_2008_Methods_March_2013.pdf (en anglais seulement).

Limites de l’ECI de 2008

Dans le cadre de l’ECI, l’information a été recueillie directement de travailleurs des services de protection de l’enfance au moment où ils terminaient leur enquête initiale sur de possibles cas de violence ou de négligence envers un enfant ou sur des risques de futurs mauvais traitements. La portée de l’étude est donc limitée au type de renseignements disponibles à ce moment. L’étude ne comprend pas d’information au sujet de mauvais traitements non rapportés ou de cas qui ont fait uniquement l’objet d’une enquête policière. De plus, l’ECI ne tient pas compte des rapports présentés aux autorités responsables de la protection de l’enfance, mais qui ont été rejetés (signalements qui n’ont pas donné lieu à l’ouverture d’un dossier en vue d’une enquête). De même, elle ne tient pas compte des dossiers ouverts avant la sélection des cas et ne répertorie pas les événements à long terme qui se sont produits après l’enquête initiale.

Il faut noter qu’il y a trois limites à la méthode utilisée pour obtenir les estimations annuelles. L’indicateur utilisé comme facteur de pondération de la taille des services est la population d’enfants, ce qui ne permet pas de tenir compte de la variation des taux d’enquêtes par habitant dans les services d’une même strate. La pondération d’annualisation permet de tenir compte des variations saisonnières dans le volume d’enquêtes, mais non dans les types d’enquêtes réalisées. Enfin, la pondération d’annualisation tient compte des cas qui ont fait l’objet d’une enquête plus d’une fois dans l’année en raison de la réouverture d’un dossier suivant la réalisation d’une enquête initiale plus tôt dans l’année. Par conséquent, les estimations annuelles pondérées représentent le nombre d’enquêtes sur les mauvais traitements envers un enfant plutôt que le nombre d’enfants ayant fait l’objet d’une enquête.

Les comparaisons entre les rapports de l’ECI doivent être faites avec précaution. Les formes de mauvais traitements ayant fait l’objet d’un suivi dans chaque cycle ont été modifiées de façon à tenir compte des changements dans les mandats et les pratiques. Il est à noter que l’ECI de 2008 est la première étude à faire un suivi explicite des enquêtes fondées sur le risque uniquement. Il est donc nécessaire d’en tenir compte dans toute comparaison entre les cycles de l’étude. De plus, les lecteurs sont mis en garde : il vaut mieux éviter de faire des comparaisons directes avec les rapports de suréchantillonnage réalisés dans les provinces et les communautés des Premières Nations compte tenu des différences dans les méthodes de calcul des estimations nationales et de suréchantillonnage.


Références

Trocmé, N., B. Fallon, B. MacLaurin, V. Sinha, T. Black, E. Fast, C. Felstiner, S. Hélie, D. Turcotte, P. Weightman, J. Douglas et J. Holroyd. « Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants –2008 », résumé et chapitres 1 à 5, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa, 2010.

Durrant, J. et R. Ensom. « Physical punishment of children: lessons from 20 years of research », Canadian Medical Association’s Journal, vol. 184, no 12, (2012). Sur Internet :  http://www.cmaj.ca/content/184/12/1373.


[1] Les cas où la principale forme de mauvais traitement corroboré était le « défaut de superviser menant à un préjudice physique » ont été exclus, ce qui représente environ 377 cas où les sévices étaient la seconde forme de mauvais traitement corroboré (n=29). 

 

About the Authors

Andreas Jud est professeur de travail social à l'Université des sciences et des arts appliquées de Lucerne en Suisse.

Nico Trocmé est professeur de travail social à l'Université McGill et directeur du Centre de recherche sur l'enfance et la famille.