Aux États-Unis, plus de deux millions de familles reçoivent des visites à domicile dans le cadre de services subventionnés par le gouvernement fédéral, l’État ou les instances locales. Or, on ignore dans quelle mesure ces services sont efficaces pour la prévention de la maltraitance infantile. Les auteurs de la présente étude ont examiné l’incidence d’un programme de visites à domicile sur la prévention de la maltraitance infantile dans l’État du Connecticut en analysant les liens entre les données du programme de visites à domicile du Nurturing Families Network (NFN) et celles de l’agence de protection de l’enfance de l’État. Les auteurs, qui ont eu recours à l’appariement par score de propension afin de réduire les biais de sélection, ont examiné des rapports d’enquête sur des cas de maltraitance, des données sur des signalements de maltraitance jugés fondés ainsi que des données sur des cas de placement hors du foyer familial au sein d’une population composée de familles socialement vulnérables qui recevaient des visites à domicile. Ils ont ensuite comparé ces données à celles d’un échantillon apparié de familles qui étaient admissibles à des visites à domicile, mais avaient choisi de ne pas participer au programme.
L’échantillon final était composé de 7 386 familles, dont 2 662 dans le groupe qui recevait des visites à domicile et 4 724 dans le groupe témoin. Après appariement, chacun des groupes comptait 2 280 familles. Des associations à deux variables réalisées avant et après l’appariement ont été évaluées à l’aide du test du chi carré. Afin de tenir compte du moment où les signalements jugés fondés et les placements hors du foyer familial ont eu lieu, les auteurs ont eu recours à des modèles de régression des hasards proportionnels de Cox pour obtenir des rapports de risque. Ils ont également évalué le délai avant le premier signalement jugé fondé et le placement hors du foyer familial à l’aide de courbes de Kaplan-Meier.
Après appariement, aucune différence statistiquement significative n’a été observée entre les groupes au chapitre du nombre d’enquêtes de l’agence de protection de l’enfance (21,1 % vs 20,9 %) et des placements hors du foyer familial (2,7 % vs 3,6 %). En revanche, on a observé un nombre significativement moins élevé de signalements jugés fondés dans le groupe de familles qui recevaient des visites à domicile que dans le groupe témoin (7,8 % vs 9,9 %). Les visites à domicile ont également été associées à de plus faibles taux de négligence jugée fondée (7,5 % vs 9,7 %). Par ailleurs, les résultats ont révélé que les signalements de maltraitance jugés fondés survenaient plus tard dans la vie des enfants au sein des familles qui recevaient des visites à domicile que dans les familles du groupe témoin. Les auteurs ont conclu que la participation à un programme de visites à domicile implanté dans l’ensemble de l’État s’était traduite par une baisse significative du nombre de signalements de maltraitance infantile jugés fondés au sein des familles, et le présent article fait état des avantages potentiels de ce type de services.
Les chercheurs ont eu recours à des données administratives afin de réaliser un couplage de données déterministe entre les familles qui participaient ou étaient admissibles au programme du NFN et les familles qui recevaient des services de l’agence de protection de l’enfance de l’État. L’outil Revised Early Identification (REID) a permis d’évaluer le risque de maltraitance et de repérer les familles particulièrement vulnérables sur le plan social. Cet outil, qui repose sur 17 facteurs (dont l’âge de la mère, la monoparentalité et l’instabilité des conditions de logement), a déjà été utilisé afin de cibler les participants à des programmes de visites à domicile dans le cadre d’études précédentes. Des éléments de l’outil REID ainsi que d’autres covariables (dont la durée du suivi par l’agence de protection de l’enfance) ont été utilisés dans les modèles de scores de propension.
Cette étude comportait certaines limites : (1) il s’agit d’une étude rétrospective observationnelle portant sur un programme de visites à domicile bien implanté dans l’ensemble de l’État du Connecticut et non d’un essai comparatif avec randomisation ‒ toutefois, le recours à l’appariement par score de propension a permis de réduire au minimum les biais de sélection; (2) 26 % (2 633) des familles ont été exclues de l’échantillon complet de familles admissibles (ces exclusions étant principalement attribuables à des dates de naissance inconnues), ce qui pourrait avoir biaisé les résultats; (3) les données administratives comportent de nombreuses limites, notamment l’existence de covariables additionnelles, les erreurs et les observations manquantes; et (4) on ignore si la divulgation de renseignements sur la participation à des programmes de visites à domicile peut influer sur les décisions des travailleurs sociaux de retenir les signalements et de recourir au placement hors du foyer familial.