La présente étude longitudinale comportant quatre phases s’est penchée sur l’influence du soutien offert par les amis à 14 ans ainsi que des différentes formes de maltraitance pendant l’enfance sur la trajectoire de la détresse psychologique des jeunes de 14 à 24 ans. Au total, 1400 élèves de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean au Québec ont été choisis au hasard dans les écoles secondaires publiques et privées pour participer à l’étude. Parmi les élèves sélectionnés, 1176 ont rempli le questionnaire initial et 605 ont été acceptés pour participer à l’étude longitudinale. Les taux de réponse pour chaque phase étaient de 84 % (2002); 67,4 % (2004); 68,3 % (2006) et 61,2 % (2012).
Les hypothèses de l’étude étaient les suivantes : (1) La détresse psychologique suivra, en moyenne, une trajectoire curviligne diminuant au fil du temps; (2) les filles manifesteront plus de détresse psychologique que les garçons; (3) la présence de chaque forme de maltraitance envers les enfants et leur accumulation seront associées à des niveaux plus élevés de détresse psychologique au départ et tout au long de l’étude comparativement à l’absence ou à une quantité moindre de mauvais traitements subis pendant l’enfance; (4) un soutien plus important de la part des amis à l’âge de 14 sera associé à moins de détresse psychologique tout au long de l’étude qu’une quantité inférieure de soutien. L’étude a également évalué si la trajectoire de la détresse était différente selon que les jeunes avaient ou non été maltraités et selon qu’ils avaient bénéficié d’un soutien supérieur ou inférieur à la moyenne de la part de leurs amis.
Les données ont été obtenues à partir de questionnaires d’autoévaluation. Les chercheurs ont mesuré la détresse psychologique en utilisant une version validée de l’indice de détresse psychologique comportant 14 points. Ils ont évalué les perceptions du soutien offert par les amis à l’âge de 14 ans à l’aide de quatre éléments développés par Bellerose et coll. (2002). Les mesures rétrospectives de la maltraitance envers les enfants ont été obtenues à 14 ans et à 20 ans pour déterminer si les participants avaient subi de la violence physique, s’ils avaient été exposés à de la violence conjugale et à des sévices sexuels. L’analyse a été réalisée à l’aide de modèles de croissance à plusieurs niveaux.
Les résultats indiquent que la baisse de la détresse psychologique était plus marquée à la fin de l’adolescence (18 à 24 ans) que pendant la période comprise entre 14 et 17 ans (hypothèse 1). Dans l’ensemble, les résultats montrent des niveaux plus élevés de détresse psychologique chez les filles que les garçons (hypothèse 2). Les chercheurs ont découvert que la maltraitance envers les enfants, telle que mesurée par cette étude, était un facteur de risque grave qui a eu des conséquences négatives à long terme sur les niveaux de détresse psychologique de ceux qui l’ont subie par rapport aux jeunes non maltraités. Les résultats ont également montré que l’exposition à la violence conjugale pourrait avoir eu des répercussions plus marquées sur les niveaux de détresse que les sévices sexuels et physiques. Les sévices sexuels envers les enfants ont eu un effet plus négatif à plus long terme sur les niveaux de détresse que la violence physique. Le fait d’avoir subi une ou plusieurs formes de mauvais traitements augmentait le niveau global de détresse, mais n’avait pas d’incidence sur la vitesse à laquelle la détresse diminuait au fil du temps (hypothèse 3). Le soutien des amis à l’âge de 14 ans était lié à des niveaux inférieurs de détresse psychologique chez les participants maltraités et non maltraités au cours de l’étude (hypothèse 4).
Cette étude est la première à examiner la relation entre le soutien offert par les amis et la maltraitance envers les enfants et leurs conséquences sur la détresse psychologique pendant une période de 10 ans, cependant, certaines limites doivent être signalées. La fiabilité interne de la perception de la mesure du soutien offert par les amis utilisée dans l’étude est faible (alpha de Cronbach = 0,62), ce qui peut avoir conduit les chercheurs à sous-estimer l’effet de ce soutien sur la détresse psychologique. Il est également suggéré que les taux plus élevés de détresse psychologique découverts chez les filles peuvent être dus au fait que la mesure utilisée repose principalement sur les symptômes intériorisés de la détresse, alors que les garçons sont plus susceptibles de présenter des symptômes plus externalisés. En outre, l’utilisation de mesures rétrospectives autodéclarées des mauvais traitements est sujette à des biais de rappel. En effet, certaines personnes peuvent surestimer leurs expériences tandis que d’autres peuvent les sous-estimer. Étant donné que les perceptions du soutien offert par les amis ont été évaluées seulement à 14 ans, des inférences causales ne peuvent être établies entre les niveaux accrus de soutien de la part des amis et les niveaux inférieurs de détresse psychologique.