Curtis, T., Miller, B., Berry, H. (2000). Changes in report and incidence of child abuse following natural disasters. Child Abuse & Neglect. 24 (9), 1151–1162.
Contexte
Les auteurs observent que les théories de la sociologie, de la psychologie et de la science familiale conduisent à l’hypothèse selon laquelle une augmentation de la violence familiale est attendue après des événements catastrophiques. Plusieurs raisons expliquent cette probabilité, notamment la perturbation du soutien social et l’incapacité à repérer et à traiter les comportements inappropriés. Bugental et ses collègues (1989) ont prédit que les catastrophes naturelles sont plus susceptibles d’entraîner des stratégies d’adaptation inefficaces chez les personnes qui se sentent déjà impuissantes et que les enfants peuvent devenir l’objet de comportements plus agressifs.
Question de recherche
La présente étude a cherché à savoir s’il y a eu une augmentation du nombre de signalements ou de preuves de maltraitance envers les enfants à la suite d’une catastrophe naturelle.
Analysis
Les chercheurs ont examiné les dossiers du Service de protection de l’enfance de trois États ayant connu des catastrophes naturelles au cours de la dernière décennie. Les signalements et les corroborations ont été rassemblés un an avant les trois dates des catastrophes et jusqu’à un an après les événements : le tremblement de terre de Loma Prieta dans la région de la baie de Californie, l’ouragan Hugo en Caroline du Sud et l’ouragan Andrew en Louisiane. Les critères d’inclusion comprenaient : une catastrophe naturelle majeure suffisamment ample pour toucher l’ensemble du comté; aucun changement récent dans les normes de signalement; au moins un an de données sur les signalements de cas de maltraitance envers les enfants après les événements; et suffisamment de dommages causés pour obtenir une déclaration présidentielle de catastrophe pour ce comté. Les trois catastrophes analysées ont eu lieu entre 1987 et 1992.
Un modèle quasi expérimental de séries chronologiques interrompues a été utilisé pour vérifier l’hypothèse selon laquelle la maltraitance envers les enfants augmente à la suite d’une catastrophe naturelle. Les données de la Californie, de la Caroline du Sud et de la Louisiane ont été analysées séparément en raison des différences relatives aux procédures de signalement. Le nombre de rapports et les preuves de sévices physiques, sexuels et psychologiques ont été agrégés dans chaque État pour tous les comtés déclarés zone sinistrée. Cette procédure a permis de reproduire l’étude dans trois États qui ont connu des catastrophes à des moments différents. La méthode choisie pour analyser ces données a utilisé des proportions mensuelles; en conséquence, le mois où a eu lieu la catastrophe a été exclu pour ne comparer que 11 mois dans les années précédant et suivant la catastrophe.
L’hypothèse nulle était que la proportion de signalements avant et après la catastrophe n’était pas différente pour la période considérée. Si 25 % de tous les signalements précatastrophes ont eu lieu au cours d’une période donnée de 3 mois, on s’attendait à ce que 25 % de tous les signalements postcatastrophe aient également lieu au cours des mêmes 3 mois de l’année suivante. Les chercheurs ont calculé la différence en pourcentage entre la fréquence prévue et la fréquence observée pour chaque période post-catastrophe.
Résultats
Le nombre de signalements et de corroborations de violence contre des enfants, ajusté en fonction des changements de population, était plus élevé 3, 6 et 11 mois après l’ouragan Hugo, par rapport aux mêmes mois de l’année précédente. Pour chacune de ces périodes postcatastrophe, la différence entre les taux de violence envers les enfants avant et après l’ouragan Hugo et le tremblement de terre de Loma Prieta était plus importante pour les signalements que pour les corroborations. Les signalements de violences physiques représentaient plus de la moitié du nombre total de signalements. Un schéma différent de résultats était apparent avant et après l’ouragan Andrew. Le nombre, les taux et les proportions de signalements et de corroborations de violence envers les enfants dans les comtés touchés étaient plus faibles après l’ouragan Andrew qu’avant.
Discussion
La recherche n’est pas concluante en ce qui concerne l’augmentation de la violence envers les enfants après une catastrophe. La violence peut augmenter pour plusieurs raisons : l’effet émotionnel des catastrophes sur les enfants peut poser des problèmes supplémentaires et accroître le stress des parents, ce qui pourrait déclencher des réactions violentes; certains enfants sont susceptibles de présenter des réactions postcatastrophe incomprises ou problématiques pour les parents; l’anxiété excessive des enfants et leurs comportements moins matures contribuent au stress vécu par les parents qui tentent déjà de faire face à d’autres problèmes liés à la catastrophe. À la suite d’une catastrophe, de nombreux systèmes connaissent des perturbations qui isolent encore davantage les familles.
Les travailleurs sociaux subissent le même stress que la population et sont incapables d’intervenir avec les mêmes compétences qu’avant la catastrophe. L’infrastructure est susceptible d’être interrompue par des catastrophes naturelles. L’environnement physique dont dépendent les travailleurs sociaux pourrait être compromis. Les personnes qui signalent des cas peuvent être incapables de contacter les services de protection de l’enfance ou les mauvais traitements peuvent sembler moins graves pour le public. Tous ces facteurs pourraient contribuer à donner une image inexacte de l’ampleur des changements réels en matière de maltraitance envers les enfants à la suite de catastrophes naturelles.
Limites
On estime que la plupart des cas de violence envers les enfants ne sont pas signalés. Si cela est vrai dans des conditions normales, la violence non signalée peut être plus élevée à la suite de catastrophes en raison des obstacles plus importants à la fois au signalement et à l’enquête. Une méthodologie basée sur un échantillonnage de la population et des entretiens pourrait mener à des résultats plus précis, et un instrument d’autodéclaration anonyme pourrait fournir des informations utiles. Les documents de la police ou des tribunaux pourraient également procurer un autre moyen d’aborder la question de la violence familiale à la suite de catastrophes. Les dossiers des urgences des hôpitaux pourraient également être utilisés pour suivre les tendances en matière de violence envers les enfants ou de blessures liées à la violence familiale avant et après les catastrophes.
Conclusion
Il serait utile de mener des recherches plus approfondies sur les répercussions des catastrophes sur les organismes de protection de l’enfance et leurs services. On ne sait pas quels sont les changements subis par le personnel de ces organismes après une catastrophe; si les procédures ou les infrastructures changent, les enquêtes sur les cas et la collecte de données pourraient en être affectées. Des recherches qualitatives seraient utiles pour déterminer comment les protocoles d’enquête sont suivis à la suite de catastrophes, ou si des cas échappent au système en raison du stress subi par le public et les travailleurs des organismes. En résumé, pour deux des trois catastrophes étudiées, il a été constaté que la violence envers les enfants augmente à la suite de catastrophes naturelles. Bien que cette recherche n’ait pas apporté de réponse définitive concernant la violence envers les enfants à la suite de catastrophes, elle offre des points de départ conceptuels et méthodologiques permettant d’élargir les recherches futures dans ce domaine.